Bouddhisme et Modernité - Trinlay Rinpoché
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Elocution de Trinlay Rinpoche lors du parlement des religions tenu le 19 juin 2011 à Perpignan.
Introduction :
Il existe, comme nous l'avons entendu à la première session plénière, non pas une modernité, mais plutôt des modernités. De même il nous faut parler non pas d'un bouddhisme, mais de bouddhismes au pluriel. Il y a ainsi les diverses branches du bouddhisme japonais, tibétain, sri-lankais, etc.
Selon le pays, la culture et l'époque les différentes traditions bouddhiques furent confrontées à différentes modernités. La situation du bouddhisme au Japon, par exemple, pays hyper industrialisé, mais aussi très attaché aux valeurs des traditions ancestrales, n'est pas la même que celle de certains pays de l'Asie du Sud-est ou celle de la Chine. Pareillement, la situation du bouddhisme en Chine durant les années 1960 n'est certainement pas la même que celle d'aujourd'hui. Il est difficile de présenter ici toutes ces situations différentes entre bouddhismes et modernités. Nous nous limiterons donc au bouddhisme en Occident et tout particulièrement aux raisons de l'intérêt croissant qu'il ne cesse de susciter dans notre monde contemporain.
Un phénomène ultra-moderne : le bouddhisme occidental.
À la différence de l'Orient où le bouddhisme connait une longue histoire, le bouddhisme en Occident est un phénomène moderne et même ultra moderne. Il y a certes eu quelques croisements entre la civilisation occidentale et le bouddhisme au cours des millénaires, mais c’est au début du 19e siècle que l’Occident, alors en pleine industrialisation et expansion coloniale, commence à découvrir le bouddhisme. Le terme « bouddhisme » inventé par les orientalistes européens apparaît vers 1820. Nombre de philosophes de l’époque, comme Schopenhauer, Nietzsche, etc. s’intéresseront à cette religion sans Dieu créateur et seront séduits par sa « modernité ». La fin du 19e siècle verra les premières conversions d’Occidentaux au bouddhisme comme celles qui furent célèbres du théosophe Henry S. Olcott et d’autres intellectuels.
Ce n’est cependant que depuis quelques décennies que le bouddhisme s’est véritablement implanté en Occident, surtout après les années 1960 à travers notamment l’impulsion des enseignements dispensés par d’importants maîtres bouddhistes comme, pour ne citer que certains des plus renommés : Kalou Rinpoche (1905-1989), Chögyam Trungpa Rinpoche (1939-1987), S.S. le XVIe Karmapa (1924-1981), et S.S. le XIVe Dalaï Lama (1935) du Tibet, ou Taisen Deshimaru (1914-1982) et Shunryu Suzuki (1904-1971) du Japon ou encore par exemple Thich Nhat Hanh (1926-) du Vietnam. Ces maîtres bouddhistes pour la plupart sont venus en occident à l’invitation d’Occidentaux désireux d’approfondir leur connaissance du bouddhisme et apprendre la méditation.
Il existe ainsi aujourd’hui un certain nombre de centres d’enseignements bouddhiques et de nombreux pratiquants en Occident sans qu’il y ait eu un effort de prosélytisme qui est contraire aux principes de l’enseignement bouddhique et sans non plus qu’il y ait eu de réseau social bouddhique.
En France par exemple il est estimé que le bouddhisme est pratiqué par plus de 1% de la population et qu’il existe près de 5 millions de sympathisants. Ce chiffre inclut les personnes d’origine asiatique attachées au bouddhisme par tradition ainsi que les personnes culturellement ou par leurs ascendants liés à une autre religion.
Le bouddhisme a touché non seulement des personnes en recherche d’une spiritualité, mais également des personnes déjà profondément engagées dans une tradition religieuse. Ainsi nous voyons, fruit sans doute des rencontres interconfessionnelles, des moines catholiques intégrer dans leurs pratiques spirituelles les méthodes contemplatives du bouddhisme ainsi que des « JuBu », comme ils sont appelés aux États-Unis, qui soutiennent pratiquer le judaïsme zen. Je salue au passage le trappiste Thomas Merton (1915-1968) qui avait été en son temps un grand partisan du dialogue inter-religieux. Mais le bouddhisme a aussi touché des milieux non religieux voir anti-religieux. Des méthodes inspirées des techniques de la méditation bouddhique sont employées dans la médecine et la psychiatrie pour la gestion du stress et d’autres douleurs psychiques, comme celle dite de la « pleine conscience » promue par le Professeur Jon Kabat-Zinn (1944). Certaines idées bouddhiques sont également reprises et se répandent sans qu’elles soient toujours présentées comme bouddhiques, par exemple dans les livres « best-seller » d’Eckhart Tolle (1948), etc. Pourquoi cette attrait pour le bouddhisme ?
Le Bouddhisme : une religion pas comme les autres.
L’exotisme, aux yeux des Occidentaux, des cultures qui ont adopté le bouddhisme et à partir desquelles le bouddhisme s’est répandu en Occident comme la culture tibétaine ou japonaise, a certainement été une source d’attraction, tout comme le charisme indéniable des grands maîtres fondateurs du bouddhisme en Occident. Mais ce qui, à mon sens, retient l’attention et le cœur des Occidentaux et plus généralement de l’homme de notre monde contemporain ultra-moderne pour le bouddhisme relève des principes fondamentaux suivants :
1) Un enseignement rationnel :
Le bouddha ne nous a pas demandé de croire en son enseignement, mais au contraire, il nous a enjoint de le vérifier par nous-mêmes. Ainsi le Bouddha dit dans les sūtra :
« Ô moines et savants, comme vous examineriez la pureté de l’or en le brulant, le coupant, etc. de même vérifiez mes dires et que ce ne soit pas par respect pour moi que vous les acceptiez comme vrais ».
Ainsi, à la différence de ce que l’on peut penser a priori d’une religion, le bouddhisme met l’accent non pas sur la foi, mais sur l’examen critique et le rejet de la croyance. En dernier, deux moyens seulement de connaissance sont retenus, à savoir la perception directe et l’inférence au détriment de l’autorité scripturaire. Certains maîtres contemporains du bouddhisme comme le XIVe Dalaï Lama et le XIVe Shamarpa (1952) ont ainsi déclaré être prêts à renoncer à des thèses bouddhiques, par exemple, la thèse sur les renaissances successives si la preuve irréfutable de son impossibilité était établie.
En ce sens, les théories et thèses bouddhiques se doivent d’être fondées rationnellement et dans l’expérience puisque l’Éveil est tenu pour avoir comme source directe la connaissance ultime (prajñā) et non la croyance.
2) Une religion non-théiste :
Le bouddhisme ne reconnaît pas la création du monde par un Dieu, une déesse, des dieux ou même des entités comme le Soi, le Temps, etc. En ce sens, la sotériologie bouddhique ne se fonde pas sur une altérité dont nous serions tributaires. Le Bouddha nous enseigne qu’il ne peut pas nous faire grâce de l’Éveil ou nous délivrer de notre mal-être qui tous deux ne viennent que de nous-mêmes. Il peut simplement nous montrer le chemin vers l’Éveil, libre à nous de l’emprunter ou pas.
Les règles de morale que le Bouddha a enseignées sont établies en fonction des lois de la causalité naturelle entre un acte et sa conséquence et non sur la puissance d’une divinité créatrice omnipotente.
3) Une voie universelle et pragmatique tournée sur l’intériorité :
Le bouddhisme se définit par l’héritage de la connaissance et de l’expérience contemplative qui nous a été laissé par le Bouddha et non par des traditions culturelles, sociales ou vestimentaires. La voie bouddhique est accessible à tous et elle n’implique pas l’adoption d’une culture étrangère. Le bouddhisme s’est toujours adapté aux cultures dans lesquelles il s’est répandu.
C’est l’intériorité qui importe le plus pour le pratiquant, c’est-à-dire son développement intérieur pour son bien et celui d’autrui. La pratique s’appuie sur l’expérience. Les fruits de la pratique sont visibles à court terme. La voie est tenue de nous permettre d’aller de bien-être en bien-être vers le bien-être ultime de l’Éveil qui est au-delà de tout bien-être et mal-être.
Le bouddhisme est une voie contemplative avant d’être une religion ou même une philosophie. Profondément pacifique et tolérant, le bouddhisme exhorte à la non-violence et à la culture de l’amour universel. Les vues bouddhiques sur « la réalité » se sont trouvées souvent en accord avec certaines découvertes de la physique quantique, des sciences cognitives, etc. Le bouddhisme a contribué à apporter des réponses inattendues aux problématiques de notre monde ultra-moderne.
Conclusion :
Dans notre monde actuel, multiculturel et multiconfessionnel où toutes les barrières géographiques disparaissent grâce aux progrès des moyens de communication et de transports, mais où certaines frontières demeurent néanmoins, je ne saurais vous dire à quel point cette rencontre multiconfessionnelle est importante pour l’avenir, car trop souvent les conflits relèvent de malentendus et de mauvaise foi. Il me semble essentiel que les différentes religions aient une connaissance non biaisée les unes des autres. Ce parlement des religions est une grande contribution dans ce sens et constitue un pas de plus vers la paix dans le monde. De tout cœur et les mains jointes j’en remercie les organisateurs. Pour finir, je voudrais vous citer Möngke Khan (1209-1259), petit fils du grand Genghis Khan (1155-1227), qui fut à la tête d’un des plus vastes empires que le monde ait connus. Il fut un disciple de Karma Pakshi (1203-1283) maître tibétain de l’école Kagyu à laquelle j’appartiens. Karma Pakshi fut un partisan résolu de la politique de tolérance religieuse qui sera promulguée par le Khan. Möngke Khan pour exhorter la tolérance et la liberté religieuse dira à l’évangéliste franciscain Guillaume de Rubrouck (1215-1259), l’envoyé de Saint Louis :
« Comme Dieu a donné à la main plusieurs doigts, il a donné de même aux hommes plusieurs voies ».
Palais des rois de Majorque à Perpignan.